Comment la téléphonie mobile est devenue un vecteur de développement en Afrique
L’anecdote historique liée à la phrase demeurée célèbre : « Monsieur Watson, venez ici, j’ai besoin de vous ! » remonte à un certain 10 mars 1876, date de la première démonstration de transmission d’un message vocal sur des fils électriques, quand Alexander Graham Bell réussit à transmettre jusqu’à une pièce voisine, où se trouvait son assistant Thomas Watson.
S’en suivit la fondation, en 1877, de la Bell Telephone Company qui a industrialisé le premier téléphone, aussi appelé vibraphone. Descendant du téléphone, le portable, cellulaire, smartphone ou mobile, est cet outil qui fait désormais partie intégrante de nos vies, et qui a bouleversé notre façon de communiquer, de faire les courses, de nous divertir et bien au-delà.
L’entreprise américaine d’informatique Cisco, affirmait, dans son rapport « Cisco Global Digital Readiness Index 2019 » que « la technologie peut aider à résoudre les problèmes les plus urgents du monde. Elle peut connecter les gouvernements à leurs citoyens et leur donner accès à de nouvelles formes d’éducation et de soins de santé. Dans tous les coins du monde, la technologie numérique nous aide à devenir plus connectés les uns aux autres, et aux organisations sur lesquelles nous comptons, à ouvrir les marchés et à créer de nouvelles opportunités d’emploi ».
C’est dans cette optique qu’il est intéressant de se pencher sur l’évolution de l’utilisation de cette technologie, notamment sur le continent africain, où l’introduction de la téléphonie mobile ne cesse d’impacter des secteurs aussi essentiels que l’agriculture, la santé, et surtout l’éducation.
- Le téléphone portable en Afrique
Les téléphones cellulaires ont fait leur apparition sur le continent africain à la fin des années 90, mais ces appareils ne sont véritablement entrés dans les mœurs qu’au début des années 2000.
Selon le « Pew Research Center », centre de recherche américain qui fournit des statistiques et des informations sociales sous forme de démographie, sondage d’opinion et autre analyse de contenu, près d’une personne sur dix possédait un téléphone portable en Tanzanie, en Ouganda, au Kenya et au Ghana en 2002.
Les téléphones cellulaires ne permettaient certes pas d’accéder à l’internet, mais en ce temps-là, les conversations téléphoniques et les SMS avaient déjà pris le pas sur nos habitudes. Un rapport de « l’American Economic Association » explique qu’en 2008, « plus de 65 % de la population africaine avait accès au service de téléphonie mobile, dont 93 % en Afrique du Nord et 60 % en Afrique subsaharienne ».
La pénétration de la téléphonie mobile en Afrique n’a cessé de progresser depuis, puisque selon la Banque mondiale et la Banque africaine de développement, l’Afrique comptait 650 millions d’utilisateurs de téléphones cellulaires en 2013, soit plus qu’aux États-Unis ou en Europe, alors que pour le groupe suédois de télécommunications Ericsson, le taux de pénétration des smartphones en Afrique atteindra 70% en 2024.
- Changement de perspectives dans le secteur agricole
L’utilisation du téléphone cellulaire ne cesse de révolutionner le secteur agricole par le biais de nouveaux outils et de nouvelles approches commerciales. Dans la chaîne de production, de nombreux acteurs, y compris les petits exploitants agricoles, ont pour la première fois accès à des données en temps réel et à des outils de calcul permettant de mieux cibler et choisir les produits à commercialiser, de faire appel à des crédits et d’accéder à des produits de micro-assurance.
La numérisation et la téléphonie mobile donnent ainsi accès à de nouveaux concepts commerciaux et à des plateformes de commerce électronique, ce qui réduit les coûts et augmente la rentabilité des petites exploitations agricoles.
Alors que ces nouveaux outils sont particulièrement attrayants pour les jeunes, 70 % de la population d’Afrique subsaharienne ayant moins de 30 ans, un programme comme « Million Farmers » au Kenya, a été conçu par le ministère de l’Agriculture pour encourager les jeunes férus de technologie à se lancer dans l’agriculture. Le commerce électronique, ainsi que la location d’équipements et les prestations de services en ligne, sont autant de pistes prospectées pour répondre au défi considérable que représente la recherche d’emplois et l’esprit d’entreprise chez les jeunes.
Ces technologies incitent également les petits exploitants agricoles à adopter de nouveaux modes de fonctionnement tels que l’économie collaborative, également appelée économie du partage, ou de pair à pair, qui s’avère être aujourd’hui un mode novateur en matière d’échanges sur des plateformes d’offres de biens et de services entre particuliers.
L’économie du partage a aussi rendu possible l’accès des petits exploitants agricoles à des équipements mécanisés efficaces pour améliorer le rendement de leurs cultures comme dans le cas de « HelloTractor », une entreprise nigériane de technologie agricole qui propose une application de partage de matériel agricole semblable à « Uber ».
Les technologies numériques permettent aussi de valoriser les données agricoles et de créer l’effet de réseau nécessaire pour évoluer et passer à une vitesse supérieure. Le Kenya en est un bon exemple avec « Twiga », une plateforme de commerce électronique entre entreprises, basée sur le téléphone cellulaire, qui livre des denrées alimentaires du marché de gros en digitalisant la chaîne d’approvisionnement, supprimant ainsi les intermédiaires, éliminant le gaspillage de denrées alimentaires et en réduisant les prix.
Le téléphone cellulaire et les technologies numériques démocratisent également l’accès aux informations sur le marché, par le biais de la création de plateformes mobiles de services en ligne pour les agriculteurs, à l’instar de l’initiative « DigiFarm ». Lancée par Safaricom au Kenya (et qui s’est ensuite étendue à la Tanzanie et au Nigeria), elle offre aux agriculteurs un accès unique à des produits agricoles à bas prix, à des facilités de prêts, à des contenus pédagogiques sur l’agriculture, de même que l’accès à des marchés.
- La téléphonie mobile au service de la santé
Du fait de la généralisation de l’utilisation de la technologie mobile au sein de la population africaine, de plus en plus d’Africains ont un accès plus rapide et plus aisé aux soins médicaux. Le nombre de médecins et de professionnels de la santé en Afrique étant insuffisant par rapport au nombre de patients, il est désormais possible d’utiliser son téléphone portable à tout moment pour consulter un médecin et obtenir des conseils en matière de santé.
Selon Matshidiso Moeti, médecin botswanaise, spécialiste en santé publique et directrice régionale de l’OMS pour l’Afrique, « les solutions numériques représentent l’avenir pour des soins de santé équitables et de qualité, et des systèmes de santé résilients. De grandes avancées ont été réalisées pour faire progresser la télémédecine, les formations en ligne et la santé mobile dans la zone africaine ».
Plusieurs applications ont été développées en ce sens, à l’instar de l’application « FD-Detector » lancée par un groupe de jeunes au Nigeria et destinée à vérifier l’authenticité d’un médicament et sa date d’expiration en analysant le code-barres, ou encore l’application « M-Tiba » au Kenya, qui permet à ses utilisateurs de régler un traitement médical à distance ou de transmettre des données anonymement pour que les autorités de santé puissent détecter les tendances et anticiper d’éventuelles épidémies. En Afrique du sud, l’application « Hello Doctor » permet quant à elle aux utilisateurs de consulter leurs médecins via leur smartphone.
Outre les différents sites et ressources en ligne pour trouver des informations sur les soins de base à prodiguer à domicile, les téléphones portables offrent également aux patients africains, même dans des endroits les plus reculés du continent, l’opportunité de bénéficier de soins rapides et efficaces de la part de médecins qui ne sont même pas obligés d’être physiquement présents ou de se trouver dans le même pays qu’eux.
Autre exemple, développé depuis 2017 en Afrique par la start-up béninoise « Open Si », l’application pour smartphone « GoMedical » qui permet de géolocaliser les médecins exerçant dans une région donnée du Bénin, traite entre 200 et 250 rendez-vous par jour, et compte un réseau de près de 450 médecins, alors que le nombre d’abonnés à cette application a dépassé les 22 000 patients en quelques années.
« Les gens ne prenaient pas de rendez-vous, ils venaient simplement et attendaient toute la journée s’il le fallait. Mais nous avons constaté que nous aidions à changer les habitudes des patients et des médecins : les gens commencent à prendre rendez-vous, et les médecins à les respecter », explique Doria Rey, directrice générale de GoMedical, ajoutant que ce genre d’applications facilitent l’accès aux soins de santé.
À la veille de l’apparition de la pandémie mondiale de Covid-19, la revue scientifique médicale britannique The Lancet, dans l’article : « Afrique sub-saharienne - Nouveau champ d’action pour la santé numérique mondiale », estimait que « l’Afrique est désormais une plateforme de premier plan pour les innovations numériques visant à renforcer les soins de santé, tant en termes de gestion des patients que de surveillance et de prévention des maladies. Dans cette région du monde où les maladies sont les plus répandues et où le manque de personnel soignant est le plus grave, le recours à la téléphonie mobile est de plus en plus fréquent pour les patients, les prestataires de soins de santé, les gestionnaires de systèmes de santé et les opérateurs de données », dans un continent où les structures traditionnelles de soins de santé sont généralement mal équipées, manquent de personnel ou ne sont pas du tout accessibles.
- Une école africaine accessible à tous
Selon Statista, portail en ligne allemand offrant des statistiques issues de données d’instituts, d’études de marché et d’opinion ainsi que de données provenant du secteur économique, 66,8% des Africains âgés de 15 ans et plus en 2019, pouvaient lire, écrire et comprendre une déclaration simple.
L’Afrique australe se classe au premier rang, avec un taux d’alphabétisation de 80 %, alors que l’Afrique du Nord, l’Afrique de l’Est et l’Afrique centrale enregistrent des taux supérieurs à 70 %. En Afrique de l’Ouest, cependant, seuls 51 % des adultes sont en mesure de lire ou d’écrire.
La plupart des pays du continent souffrent de lacunes au niveau des infrastructures scolaires, et avec les nouveaux arrivants qui rejoindront bientôt les bancs de l’école (près de 150 millions d’élèves à scolariser à l’horizon 2025), le maintien de la qualité de l’enseignement se trouve compromis. Or, si l’éducation est encore perçue comme un privilège dans de nombreux pays du continent, de nombreuses initiatives visent à pallier à ces inégalités.
La digitalisation des contenus éducatifs est une des principales orientations en la matière, qu’il s’agisse de plateformes d’apprentissage en ligne ou « e-learning », de tablettes éducatives, ou de cours virtuels.
En Côte d’Ivoire, l’entreprise « Qelasy » a créé une tablette éducative pour les élèves, déjà utilisée dans plus de 200 écoles de différents pays africains. Elle peut résister à la chaleur, à la poussière, à l’humidité et permet aux enfants d’accéder à leurs supports de cours, aux exercices quotidiens et de suivre leur progression.
« Chalkboard Education », service mobile de e-learning via SMS pour les élèves et étudiants ghanéens et ivoiriens n’ayant pas accès à l’école ou à l’université, est un autre exemple représentatif de l’évolution du phénomène. Il permet aux élèves de télécharger des manuels, des exercices, des tests et d’être en contact permanent avec les enseignants grâce à leur téléphone même sans être connecté à Internet.
Elle est également entrée en partenariat avec des universités du Ghana pour permettre aux étudiants de suivre des cours où qu’ils soient, en contournant les problèmes liés aux infrastructures et aux coûts excessifs de la connexion internet.
Des entreprises telles que « M-Shule », première plateforme d’apprentissage adaptatif d’Afrique, accessible aux élèves par le biais de SMS (short messaging service), qui fournit des outils de formation et d’évaluation dans toute l’Afrique de l’Est, contribuent à améliorer les résultats des élèves du primaire au Kenya et en Afrique subsaharienne.
« M-Shule » vise à rendre plus facile et plus abordable pour les enfants d’Afrique subsaharienne de suivre un parcours personnalisé leur permettant de maximiser leurs chances de réussite en vue d’intégrer l’enseignement supérieur.
Grâce à la téléphonie mobile, les enfants des zones rurales ont ainsi accès à l’éducation et, avec le développement des smartphones à bas prix, l’accès à l’éducation deviendra de plus en plus facile et la scolarisation des enfants ne sera plus l’apanage des familles urbaines les plus aisées.
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