France : Le casse-tête corse d’Emmanuel Macron

Publié le Par La rédaction d’LBVnews - Mis à jour :

La visite prévue mercredi et jeudi prochains par le ministre français de l’Intérieur sur l’Île de Beauté, ne se fera pas en terrain conquis, et Gérald Darmanin le sait déjà.

Un grand nombre de Corses sont en colère contre l’Exécutif français et lui ont exprimé leur désarroi qui pourrait devenir un désaveu, notamment à travers les manifestations ayant pris des tournures violentes au cours des semaines passées, sur l’île, où lors des élections présidentielle et législatives prévues sur l’ensemble du territoire français, respectivement en avril et juin de cette année.

Pour cause : la promesse du candidat Emmanuel Macron en 2017, lors de la campagne présidentielle, réitérée une fois devenu président : « Faire entrer la Corse dans la Constitution française  ». En d’autre termes, une forme d’autonomie pour l’île. Mais là était la question hier comme elle l’est encore aujourd’hui : laquelle ? Quel degré d’autonomie pour la Corse et comment articuler celle-ci ?

« Justice et vérité » pour Yvan Colonna : La territorialité des détenus ou la libération des prisonniers

L’élément ayant fait exploser la colère en Corse a été l’agression, le mercredi 2 mars courant à la maison d’arrêt d’Arles, d’Yvan Colonna, un nationaliste corse condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour le meurtre du préfet Claude Erignac, survenu en 1998 à Ajaccio. Suite à son agression par un co-détenu condamné pour terrorisme, Colonna, annoncé mort dans un premier temps, est finalement déclaré dans le coma.

L’agression de Colonna a suscité la colère sur l’île et ressuscité les appels des mouvements nationalistes pour une révision de ses conditions de détention, ainsi que de celles de Pierre Alessandri et Alain Ferrandi, les deux autres membres du « commando Erignac » condamnés à la perpétuité, certains élus corses allant jusqu’à appeler à leur libération.

« Justice et vérité », ont scandé les manifestants corses, au cours des rassemblements de solidarité, qui se sont tenus sur l’île, les semaines passées. Les manifestations ont pris des allures d’affrontements entre les forces de l’ordre et des groupes violents. Les forces de l’ordre ont été ciblées par des jets de projectiles, de bombes artisanales et de cocktails Molotov, lancés par des groupes d’hommes cagoulés, auxquelles elles ont répliqué par des jets de gaz lacrymogènes et de grenades assourdissantes.

Lors du rassemblement de dimanche dernier à Bastia, des groupes de manifestants ont également mis le feu au bâtiment des Finances publiques. L’incendie a été rapidement maîtrisé par les pompiers.

La réaction du gouvernement

En réponse à la requête de longue date des mouvements corses, refusée par les gouvernements successifs depuis de nombreuses années, et à leur colère plus récente, le Premier ministre Jean Castex, qui a fermement condamné les violences survenues au cours des manifestations, a cependant levé, le mardi 8 mars, le statut de Détenu particulièrement signalé (DPS) d’Yvan Colonna, qui l’empêchait de purger sa peine dans une prison corse. Le vendredi 11 mars, Jean Castex en faisait de même pour les co-condamnés de Colonna, Ferrandi et Alessandri.

Le président du Conseil Exécutif de Corse, l’autonomiste Gilles Simeoni, interrogé le même jour par BFM TV, exprimait « un sentiment de satisfaction ». « C’est le droit qui s’applique. La situation qui prévalait jusqu’à aujourd’hui était celle de l’anormalité. La demande de rapprochement était portée par la quasi-unanimité des forces politiques corses. Aujourd’hui, la moitié du chemin est faite. La porte est ouverte à un rapprochement effectif », déclarait Simeoni pour signaler son ouverture à des discussions sur le paramétrage institutionnel de la Corse, c’est-à-dire pour définir ce qui relèvera des institutions et dirigeants politiques de l’île et ce qui s’inscrira dans les prérogatives du pouvoir central, à Paris, soit le degré d’autonomie de la Corse.

Le leader politique corse appelle aussi à la formation d’une commission parlementaire d’enquête pour élucider les circonstances de l’agression d’Yvan Colonna, à la Maison d’arrêt d’Arles.

Le lancement de nouvelles négociations à la suite des mouvements de colère

Le ministre français de l’Intérieur a annoncé lundi, par communiqué, qu’il se rendra en Corse pour une visite de deux jours qui débutera le mercredi 16 mars. Il a déclaré qu’il ouvrira « un cycle sans précédent de discussions dès ce mercredi avec l’ensemble des élus et forces vives de l’Île [...] à la demande du Président de la République et du Premier ministre  ».

Indiquant que le « gouvernement a entendu les demandes des élus de Corse sur l’avenir institutionnel, économique, social ou culturel  » de l’Île de Beauté, le ministre a déclaré que ces discussions viseront à « trouver les conditions d’une telle évolution de la Corse dans la République, ainsi que le prévoit la Constitution  », sans apporter de précisions sur ces éventuelles évolutions du statut de l’île.

Gérald Darmanin a condamné « avec la plus grande fermeté les violences commises en Corse », en marge des manifestations de soutien au militant indépendantiste, Yvan Colonna, et appelé « au retour au calme sans délai, calme sans lequel aucun dialogue ne peut débuter  ». « Les casseurs corses ont compris le message envoyé par Paris : la violence paye plus et mieux que l’action politique  », écrivait lundi Nicolas Beytout, dans son éditorial pour L’opinion.

« Ils veulent désormais la libération anticipée des coupables de la mort du préfet. « Etat français, assassin », ce cri de ralliement en dit long sur l’état d’esprit qui anime les manifestants (et pas seulement les plus violents d’entre eux) », ajoutait le fondateur du journal.

Des négociations secrètes ?

Du côté de l’opposition nationale, la présidente et candidate à la présidentielle de 2022 du Rassemblement national (RN) avait dû annuler la visite qu’elle avait prévu en Corse le dimanche 6 mars. Marine Le Pen estimait que « l’ordre public en Corse ne permet pas ce déplacement de campagne  ». Quelques jours plus tard, elle accueillait favorablement la décision du gouvernement de rapprocher les détenus en Corse. Cependant, elle appelait le gouvernement à répondre aux informations publiées la semaine dernière dans le Canard Enchaîné.

« Je souhaite savoir s’il est vrai que des proches du président de la République sont allés négocier en prison pour obtenir des nationalistes des voix en contrepartie de promesses liées à l’autonomie de la Corse », a-t-elle demandé, lors d’un déplacement dans le Nord, le vendredi 11 mars. La candidate du RN a estimé que si la véracité des faits vient à être avérée, il s’agira alors d’actes « très graves » relevant du « scandale d’État ».

Le journal réputé pour ses révélations, a rapporté, mercredi 9 mars, que les députés de la majorité présidentielle, Bruno Questel (LAREM) et François Pupponi (MoDem), ont rendu visite en février à Yvan Colonna à la prison d’Arles, et à Ferrandi et Alessandri à la maison d’arrêt de Poissy, le samedi 5 mars. Selon le Canard Enchaîné, ces visites étaient « directement liées aux négociations entre Macron et l’Exécutif corse ».

Le journal poursuit en rapportant des concessions faites par le gouvernement au mouvement nationaliste corse, en la personne de Gilles Simeoni, président du Conseil exécutif corse, notamment le « rapatriement » de Ferrandi et Alessandri dans une prison corse ainsi qu’« une autonomie de plein droit » pour l’île.
Le journal note qu’il aurait été question que Simeoni s’engage, en échange de cela, à marginaliser politiquement Jean-Guy Talamoni, président de l’Assemblée de Corse jusqu’en 2021, ainsi qu’à soutenir la candidature d’Emmanuel Macron au second tour de la présidentielle, prévu le dimanche 24 avril, le premier tour étant planifié deux semaines plus tôt. L’agression contre Colonna aurait fait capoter les négociations.
Talamoni est connu pour ses positions indépendantistes, même s’il avait mis de l’eau dans son vin, ces dernières années, en se rapprochant des demandes des autonomistes.

Le contexte de la présidentielle et le casse-tête corse pour Macron

Pour Emmanuel Macron, la question corse s’est révélée être un casse-tête [1], du début de son quinquennat en mai 2017, jusqu’au scrutin présidentiel de cette année, pour lequel il a récemment lancé sa campagne, sous l’apparat de la présidence tournante de l’UE et dans un contexte de guerre en Ukraine.

Lors de la campagne électorale de 2017, le candidat Macron s’était engagé à « faire entrer la Corse dans la Constitution » française. C’était une façon de dire «  plus d’autonomie à la Corse », sans pour autant froisser ses partenaires politiques et ceux dans l’opinion publique qui y seraient réfractaires.

Le gouvernement reconnaissait la complexité de la question corse en 2018, alors que de son propre aveu, il tentait encore d’en évaluer tous les tenants et aboutissants. « On est encore dans une phase d’écoute pour distinguer les enjeux et comprendre à quelles réalités concrètes nous avons à répondre ensemble », déclarait Matignon [2].

L’Exécutif tentait alors de faire avancer un projet de loi destiné à faire évoluer le statut et les institutions de la Corse, avant de le voir bloqué par le Sénat à majorité Les Républicains (LR) et présidé par Gérard Larcher.

En 2018, le président de la chambre haute déclarait à Public Sénat qu’il discutait avec le Président Macron de la question corse. Il faisait état de « convergences » avec le Président français. « Il y aura des débats, il y aura des points d’accord, il y aura des points de désaccords, mais en tous les cas, c’est dans le respect et la confiance  », indiquait Gérard Larcher.

« Pour peser sur les négociations, le président du Sénat est persuadé de détenir une carte maîtresse, car une révision de la Constitution nécessite que les deux chambres votent un texte identique et que celui-ci soit ensuite adopté à la majorité des 3/5es des suffrages du Parlement réuni en Congrès. Le Sénat a donc plus que son mot à dire dans cette affaire », rappelait la journaliste Ellen Salvi de Mediapart. L’affaire Benalla faisait surface. Tout projet était suspendu.

En 2019, dans le cadre du Grand débat et de la consultation qui se voulait populaire, Macron tentait de nouveau de donner à la Corse l’opportunité « d’adapter des normes dans le cadre de ses compétences ».

« Comment ça s’appelle, pouvoir décider des normes pour soi-même dans le cadre de ses compétences ? Ça s’appelle l’autonomie dans la République », déclarait-il devant les 150 maires corses (sur 360) venus l’écouter et échanger avec lui, à Cozzano. Une rencontre boudée par Simeoni l’autonomiste et Talamoni l’indépendandiste du fait de l’insuffisance des pouvoirs attribués au institutions insulaires. Une vague d’explosions a secoué l’île, cette année, sans faire de victimes.

La pandémie de Covid-19 allait occuper le gouvernement pendant l’année 2020, alors qu’il s’est assuré que les entreprises et ménages corses profitent du soutien de l’État, comme dans le reste du pays. Le dossier corse est désormais de retour dans le débat public alors que Gérald Darmanin entamera, mercredi, sa visite sur l’Île de Beauté.

« Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, se rend mercredi et jeudi en Corse. Avec une responsabilité immense : celle d’interrompre l’engrenage de la violence, mais sans en rabattre sur l’autorité de l’Etat. Et préserver ainsi la campagne électorale d’une énième surprise », écrivait Nicolas Beytout pour L’Opinion.

Lors de ses différentes rencontres avec les représentants locaux, Gérald Darmanin devra évoquer la question difficile de la révision constitutionnelle, promise par Emmanuel Macron en 2017, ainsi qu’une large panoplie de questions relatives aux institutions et prérogatives insulaires dans le cadre de la législation française.

Notes :
1. « Quel est le statut de la Corse ? » - Vie Publique
https://www.vie-publique.fr/fiches/...
2. « Constitution : les Corses pris en étau entre Macron et le Parlement », Ellen Salvi, Mediapart, 24 janvier 2018
https://www.mediapart.fr/journal/fr...
3. « Macron boucle son grand débat en Corse sur un regain de tension avec les nationalistes » - Public Sénat, 4 avril 2019, Maureen Cofflard, Laurence Benhamou
https://www.publicsenat.fr/article/...

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